De la plongée en terres ouvrières en raccourcis politiques

 

Adapté sur Les planches par Thomas Ostermeier en 2019, soit dix ans après sa parution, le fameux récit autobiographique et sociologique de Didier Eribon, Retour à Reims, dispose désormais, grâce à Jean -Gabriel Périot, d'un prolongement documentaire. Prenant pour fil conducteur l'histoire familiale de l'auteur, avec les propres mots de celui-ci, et à travers un choix d'archives percutantes, le réalisateur donne à voir et entendre l'usine, ses cadences infernales, la vie en HLM; les petits moments de bonheur, aussi, les traditions qui cimentent tout un monde, surtout. Le bal populaire est restitué dans son ambivalence : moment de détente en même temps que lieu d'une reproduction sociale enserrant l'horizon à l'insu des subjectivités. Le film met en exergue les logiques d'« auto-élimination » scolaire, quand «le choix des possibles est étroitement circonscrit par la position de classe », selon la formule ciselée d'Eribon.

Point d'angélisme ici, point de vision messianique qui viendrait travestir la réalité brute des injustices endurées au quotidien. Et c'est là tout l'intérêt de ces « fragments ». En revanche, une partie du discours, celle qui porte sur les traductions politiques de « l'identité de classe », charrie d'étranges raccourcis.

Ainsi, il est asséné que le Front national, à partir des années 1980, dans le contexte des désillusions suscitées par la gauche au pouvoir, se serait tout bonnement substitué au PCF dans le rôle de représentant et défenseur de la classe ouvrière. Une analyse à l'emporte-pièce, qui ne semble pas prendre la mesure du caractère intrinsèquement populisme d'extrême droite. On notera par ailleurs que le film n'évoque jamais les communistes qu'au passé, comme c'est souvent le cas, aussi, dans les discours de la droite et du patronat prenant leur désir pour la réalité.

 

Laurent Etre
L’Humanité dimanche
18 novembre 2021